#MoiAussi

Julie moiausi

On m’avait dit que Paris était une jungle. On m’avait prévenue… À 18 ans, sur l’invitation d’un grand agent parisien, je débarquais dans la Ville Lumière. Très jeune je voulais être actrice, et le film « La gifle »  avec Isabelle Adjani fût l’un des déclencheurs de cette passion. Je dévorais les films les uns après les autres, même s’ils n’étaient pas de mon âge. Kusturika, Almodovar, Wilder, Kazan, Truffaut, etc. Le même phénomène se produisait avec les livres. Cette envie d’incarner des personnages, de vivre une vie qui ne serait jamais la mienne. Ce désir viscéral d’être parfois tout et son contraire, tantôt douce et fragile, tantôt forte et puissante… J’étais profondément attirée par ces différentes nuances.

Je me suis retrouvée seule au début des années 90 dans mon petit studio de la rue Princesse, le cœur gonflé à bloc et la tête pleine d’espoir. L’avenir m’appartenait, j’y croyais plus que jamais ! Mais à quel prix…

Mon agent voulait me « faire voir » ! Il me promouvait comme la nouvelle Sharon Stone, ce que je réfutais et ce qui me mettait extrêmement mal à l’aise. Je n’étais pas ça ! Je passais de nombreuses journées en rendez-vous, mon CV, ma photo de casting et mon guide de métro sous le bras. J’étais jeune, naïve, impressionnée par ces gens influents et importants. Rapidement, je commençais à comprendre les mises en garde que l’on m’avait faites. Oui, Paris était une jungle et les prédateurs rôdaient. J’étais une proie idéale…

Mon éducation judéo-chrétienne, mon cocon familial tricoté serré ne m’avaient pas préparée à cette réalité.

Je me souviendrai toujours d’un de mes premiers castings. Des années plus tard, j’y repense avec une boule d’angoisse à l’estomac. Le réalisateur B. avait fait un film que j’avais adoré ! Il cherchait l’héroïne de son prochain long-métrage et voulait me rencontrer !

Je me suis présentée dans un grand hôtel parisien où avait lieu l’audition. Dans l’ascenseur, mon cœur battait la chamade, j’étais nerveuse, limite nauséeuse. Quelques filles patientaient assises par terre dans le couloir. L’attente était longue. Finalement, on m’a fait entrer dans la chambre. De ses yeux vicieux, B. me scrutait de la tête aux pieds. J’étais impressionnée. Il parlait en marmonnant, j’avais du mal à l’entendre. J’ai compris les mots : improvisation, nue, masturbation, plaisir. Je pouvais voir son pénis gonflé à travers son jeans. Dépossédée de moi-même je me suis mise à pleurer. Quelle désillusion, ce n’était pas dans le plan de match! J’étais une jeune actrice passionnée qui voulait défendre un vrai rôle, je me retrouvais prise dans un traquenard de détraqué. Quelques minutes plus tard, je prenais mon courage à deux mains et quittais précipitamment les lieux. Je n’ai même pas eu la force de claquer la porte et de l’envoyer chier !

J’étais tétanisée, dégoûtée et tellement déçue. Telle une petite chose penaude et honteuse, j’ai repris le métro en direction de chez moi. Je me suis goinfrée de pâtisseries et j’ai chialé toutes les larmes de mon corps. Je n’ai jamais joué dans un film de B. et il avait laissé savoir à mon agent que j’étais une « pleureuse ». Dix ans plus tard, B. a été condamné pour harcèlement sexuel.

Même chose pour un très grand producteur français, S. à la carrière impressionnante. Lors d’un entretien qui se voulait professionnel, il m’avait fait des avances plus que déplacées. « Comment pouvais-je être aussi conne !»  m’avait-il répondu. Il avait été vexé de s’être fait repousser par une gamine. Et moi la gamine, je n’ai jamais pu auditionner pour un de ses films. J’ai su plus tard que j’étais sur sa liste noire…

Des histoires de début de parcours comme celles-ci, des menaces de nuire à ma carrière, des mots et des comportements inappropriés, oui j’en ai connu moi aussi, à Paris et à Los Angeles. Montréal m’a épargnée. Était-ce le prix à payer pour avoir une grande carrière ?

En lisant tous ces témoignages depuis deux semaines, j’ai retrouvé ce goût amer et ce sentiment d’impuissance et de honte que l’on a quand on est à la merci d’une autorité au pouvoir malsain.

Fort heureusement avec le temps, pour moi, tout s’estompe. Les belles expériences prennent largement le dessus. J’ai eu la chance de travailler avec des hommes extraordinaires, respectueux, sans l’ombre d’une ambiguïté. Par solidarité aujourd’hui, je m’associe et je joins ma voix.

 Julie #MoiAussi

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